Newsletter de la psychométrie

La newsletter de la psychométrie #14

PEARSON - TRAITS D'UNION

TRAITS D'UNION
LA COMMUNAUTÉ DE LA PSYCHOMÉTRIE
Newsletter - Mai 2019 #14
ECPA par Pearson www.pearsonclinical.fr

Au sommaire


Troubles du langage oral chez l'enfant :
comment les nommer ?
Des consensus internationaux à la pratique française

Troubles oralité
Didier roch Par Didier Roch                               
Orthophoniste

Les difficultés d’acquisition du langage oral constituent un motif fréquent de consultation. L’enjeu pour le clinicien est de les décrire suffisamment précisément pour construire un projet thérapeutique. Cette tâche présuppose plusieurs points d’accord entre les professionnels : accord sur ce qu’est la norme langagière, accord sur la frontière entre le normal et le pathologique, accord sur la description de la pathologie… Et enfin accord sur la pertinence et les limites des outils utilisés pour la mettre au jour et des modèles qui ont présidé à leur conception.

L’accord sur la définition d’une norme langagière se heurte à la variété des usages des locuteurs et au caractère fondamentalement interactif du langage. Le choix qui estgénéralement fait dans la conception des tests de langage utilisée par les orthophonistes est de considérer la norme statistique comme reflétant suffisamment la réalité du fonctionnement langagier pour en constituer une bonne représentation1 .

Pour autant, cela n’est pas suffisant pour définir la différence entre le normal et le pathologique : un des facteurs démontrés comme pertinents pour la définition de la pathologie est le nombre de niveaux linguistiques perturbés ainsi que d’éventuelles dissociations entre ceux-ci ou entre les versants réceptif et expressif, bien que cette dernière fasse l’objet d’interrogations2 .

L’accord sur la description de la pathologie nécessite l’emploi de termes suffisamment précis pour les nommer : or, à l’heure actuelle, coexistent différentes classifications et différentes dénominations pour les troubles du langage qui ne sont pas liés à une cause identifiable.

Dans la pratique française, on trouve dans la CFTMEA (Classification française des troubles mentaux chez l’enfant et l’adolescent3 ), les termes de « retard de langage » et de « dysphasie ». Dans la Nomenclature générale des actes professionnels en orthophonie (dernière modification 2018), on parle de « troubles de la communication et du langage oral » et « dysphasie ». La Haute Autorité de Santé utilise elle, en 2017, le terme de « Trouble Spécifique du Langage (TSL) », traduction de « Specific Language Impairment », qui est le terme le plus utilisé depuis le début des années 80 dans les pays anglo-saxons 4 . Mais la notion de spécificité a été récemment remise en question du fait des liens entre les compétences verbales et non verbales 5 , l’existence fréquente de troubles associés (Bishop et coll. 2016 rappellent que « les troubles purs sont l’exception et non la règle ») et l’existence d’hypothèses non linguistiques explicatives des troubles du langage 6 . C’est ainsi que le terme « Langage Disorder » a été choisi par les rédacteurs du DSM-V (APA 2013).
Devant cette prolifération de termes gênant tant le consensus clinique que l’organisation des soins et la recherche, un consortium de chercheurs et de cliniciens anglophones ont suivi un processus menant à l’adoption du terme de « Developpmental Language Disorder » 7 . Ce terme est également celui qui a été retenu par l’OMS dans la dernière version de la classification internationale des maladies (ICD 11). D’un point de vue pratique comme théorique, il serait pertinent que le terme de « Trouble Développemental du Langage » trouve sa place dans la pratique francophone et particulièrement française, comme a choisi de le faire récemment l’Ordre des Orthophonistes et Audiophonologistes du Québec (2017),
et que celui-ci soit retenu parmi les diagnostics orthophoniques.

La démarche diagnostique
Bishop et coll. (2017) proposent une démarche évaluative en cinq étapes menant au diagnostic de Trouble Développemental du Langage 8 .
- Première étape : Constat de l’impact fonctionnel de la difficulté ; la difficulté langagière risque-t-elle d’avoir des répercussions dans la vie quotidienne et la scolarité de l’enfant au-delà de 5 ans ?
- Deuxième étape : Question de la familiarité avec la langue environnante ; s’agit-il d’un problème de langage ou une non-familiarité avec la langue environnante ? L’enfant est-il aussi en difficulté dans sa langue maternelle ?
- Troisième étape : les éléments de mauvais pronostic variables avec l’âge. Étape à partir de laquelle on parle de trouble du langage.
Avant trois ans : Il est très difficile de trouver des marqueurs fiables de pronostic de
Trouble Développemental du Langage (ce qui n’empêche pas la prise en charge précoce d’enfants parlant tardivement et présentant des facteurs de risque.)
Entre trois et quatre ans, on s’intéressera au nombre de secteurs linguistiques affectés par le trouble. La probabilité d’avoir un trouble du langage à l’âge primaire
augmente avec ce nombre. À partir de 5 ans, les difficultés langagières encore présentes sont généralement persistantes, les difficultés de compréhension et un bas niveau cognitif sont des facteurs défavorables.
- Quatrième étape : Existence de facteurs de différenciation ; le trouble est-il expliqué par une condition biomédicale connue ? Le trouble du langage fait alors partie de l’ensemble des troubles occasionnés par cette condition. On parle alors de trouble du langage associé à cette condition (par exemple surdité, déficience intellectuelle…)
Si aucun des facteurs de différenciation n’est retenu, alors on parle de « Trouble Développemental du Langage ».
- Cinquième étape : Recherche d’informations complémentaires : celles-ci définissent les secteurs langagiers affectés, les facteurs de risques et les troubles comorbides.
Harmoniser les descriptions cliniques et scientifiques
En plus des troubles phonologiques décrits dans les Troubles Développementaux du Langage, les classifications internationales (DSM-V, APA 2013) et le consensus
terminologique récent (Bishop & al. 2017) décrivent les « Sound Speech Disorders » qui sont des troubles phonético-phonologiques (dont les troubles d’articulation, les dysarthries et les dyspraxies verbales).
Dans les classifications françaises, coexistent « le trouble d’articulation » et le « retard de parole » pour les troubles développementaux, les dysarthries relevant des tableaux neurologiques 9 . La dénomination « Trouble des Sons de Parole » (traduit de façon malheureuse par « troubles de la phonation » dans la version française du DSM-V) permettrait d’harmoniser les descriptions cliniques et scientifiques, et ainsi de faciliter la démarche de recherche d’éléments probants pour la rééducation orthophonique.
Au-delà des discussions nosographiques et de leur portée sur le diagnostic et la rééducation orthophoniques, il importerait d’harmoniser les termes décrivant les troubles du langage pour une communication plus aisée entre professionnels, ainsi que pour une meilleure cohérence entre le niveau clinique, le niveau d’organisation des soins, la recherche et l’éducation.

Au-delà des discussions nosographiques et de leur portée sur le diagnostic et la rééducation orthophoniques, il importerait d’harmoniser les termes décrivant les troubles du langage pour une communication plus aisée entre professionnels, ainsi que pour une meilleure cohérence entre le niveau clinique, le niveau d’organisation des soins, la recherche et l’éducation.

1 Voir De Weck et Marro (2010).
2 Leonard (2009).
3 Misès et coll. (2012).
4 Terme lui-même discuté quant à son utilité en recherche et/ou en clinique : voir Reilly & al. (2014).
5 Botting (2005), Conti Ramsden & Durkin (2012), Norbury & al. (2016).
6 Majerus & Zeziger, (2009), Leclercq et Leroy (2012), Maillart (2018 a).
7 Bishop et al.(2016, 2017) ; voir Maillart (2018b), pour une présentation en français.
8 Voir Maillart (2018 a,b) pour une synthèse en français.
9 Pour une description de cette différence de conception, voir Macchi, Casalis & Schelstraete (2017).

Bibliographie

American Psychiatric Association. (2012). DSM-5 : diagnostic and statistical manual of mental disorders, 5 e  édition, Washington D.C. American Psychiatric Association.
Bishop, D. V., Snowling, M. J., Thompson, P. A., & Greenhalgh, T. (2016). CATALISE : A multinational and multidisciplinary Delphi consensus study. Identifying language impairments in children. PLoS One, 11(7), e0158753.
Bishop, D. V., Snowling, M. J., Thompson, P. A., & Greenhalgh, T. (2017). Phase 2 of CATALISE : a multinational and multidisciplinary Delphi consensus study of problems with language development: Terminology. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 58(10), 1068-1080.
Botting, N. (2005). Non-verbal cognitive development and language impairment. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 46(3), 317-326.
Conti-Ramsden, G., St Clair, M. C., Pickles, A., & Durkin, K. (2012). Developmental trajectories of verbal and nonverbal skills in individuals with a history of specific language impairment: from childhood to adolescence. Journal of Speech, Language, and Hearing Research (JSLHR), 55(6), 1716-1735.
de Weck, G., Marro, P. (2010). Les troubles du langage chez l’enfant. Description et évaluation. Masson. Haute Autorité en Santé (2017) Comment améliorer le parcours de santé d'un enfant avec troubles spécifiques du langage et des apprentissages. https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2822893/fr/comment-ameliorer-le-parcours-de-sante-d-un-enfant-avec-troubles-specifiques-du-langage-et-des-apprentissages.
Leclercq, A.L., Leroy S. (2012). Introduction générale à la dysphasie : caractéristiques linguistiques et approches théoriques. In C. Maillart C., M.A. Schelstraete (eds). Les dysphasies de l’évaluation à la rééducation. Elsevier-Masson. 5-33.
Leonard, L. B. (2009). Is expressive language disorder an accurate diagnostic category?. American journal of speech-language pathology, 18(2), 115–123.
Macchi, L., Casalis, S., & Schelstraete, M.-A. (2017). La lecture chez les enfants avec des troubles spécifiques d’articulation, de parole et /ou de langage oral : une revue narrative de littérature. L’Année Psychologique, 116(4), 547–595.
Maillart, C. (2018 a). L'apprentissage du langage chez des enfants présentant un trouble développement du langage (TDL). In A. Roy, Guillery-Girard, B. Aubin, G., Mayor, C. Neuropsychologie de l'enfant. Approches cliniques, modélisations théoriques et méthodes. De Boeck Supérieur. 68-93.
Maillart, C. (2018 b). Le projet CATALISE, phase 2 « Terminologie ». Impacts sur la nomenclature des prestations de logopédie en Belgique. UPLF-Info, 35(2), 4-17.
Majerus S., Zesiger P. (2009). Les troubles spécifiques du développement du langage in : Poncelet M., Majerus S., van der Linden M. (eds) : Traité de neuropsychologie de l’enfant. Solal. 97-134.
Misès, R. (2012). Classification Française des Troubles Mentaux de l'Enfant et de l’Adolescent. Ehesp.
Nomenclature Générale des Actes Professionnels, Orthophonie (dernière modification 06/11/2018). Rééducation des troubles de la voix, de la parole, de la communication et du langage. Titre IV, chapitre II, article 2.
Norbury, C. F., Gooch, D., Wray, C., Baird, G., Charman, T., Simonoff, E., ... & Pickles, A. (2016). The impact of nonverbal ability on prevalence and clinical presentation of language disorder: evidence from a population study. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 57(11), 1247-1257.
Ordre des Orthophonistes et Audiophonologistes du Québec. (2017). État de la situation sur le trouble développemental du langage (TDL). http://ooaqvousinforme.com/tdl-sept2017/.
Organisation Mondiale de la Santé. (2012). ICD-11 International Classification of Diseases 11th Revision.
Reilly, S., Tomblin, B., Law, J., McKean, C., Mensah, F. K., Morgan, A., Goldfeld, S. , Nicholson,J. M. and Wake, M. (2014). Specific Language Impairment: a convenient label for whom?. International Journal of Language & Communication Disorders, 49 : 416-451.

Interprétation des résultats à la NEPSY-II selon une approche "fonctionnelle"
Delphine Bachelier Par Delphine Bachelier                              
Psychologue spécialisée en neuropsychologie
Responsable des projets cliniques ECPA-Pearson
Formatrice ANAE

LA NEPSY-II (bilan neuropsychologique de l’enfant et de l’adolescent) est composée de trente-et-une épreuves réparties en six domaines : Attention et fonctions exécutives / Mémoire et apprentissage / Langage / Traitements visuospatiaux / Fonctions sensorimotrices / Perception sociale. Outil de seconde intention, il est fréquent que les professionnels l’utilisent pour affiner et préciser leurs premières observations, en se focalisant sur un aspect particulier de la cognition. Ainsi, ils peuvent analyser l’efficience d’une ou plusieurs fonction(s) neuropsychologique(s) de manière plus isolée.*

L'approche fonctionnelle

Certaines aptitudes sont sollicitées dans plusieurs épreuves : l’approche fonctionnelle consiste donc à ne pas se limiter à l’analyse des résultats dans le(s) seul(s) domaine(s) concerné(s) mais à s’intéresser à toutes les épreuves sollicitant cette ou ces aptitude(s), quel que soit le domaine dans lequel elles sont incluses.

Prenons l’exemple de l’exploration de la mémoire de travail dans la NEPSY-II

Pour approfondir l’exploration de l’efficience de la mémoire de travail d’un enfant ou d’un adolescent, les épreuves du domaine Mémoire et apprentissage et du domaine Attention et Fonctions exécutives sont bien évidemment intéressantes, mais de nombreuses autres épreuves, appartenant à d’autres domaines, peuvent être administrées pour compléter les premières observations.

En modalité visuelle

Sur un support spatial

Épreuves auditivo-verbales

Épreuve en double modalité (verbale et visuospatiale)

L’approche fonctionnelle permet donc d’affiner la compréhension du fonctionnement du sujet évalué en proposant une analyse approfondie des fonctions explorées. Elle peut aussi être utilisée pour évaluer l’attention, certaines fonctions exécutives ou encore certains processus mnésiques.

* Pour aller plus loin                               
"Le bilan avec la NEPSY-II", par Delphine Bachelier, février 2019, éditions Dunod. 

"La Fabrique des tests"
La validité dans les tests : de quoi parle-t-on ?
Partie 1
Par Charlène Nassif                             
Psychologue , Conseil clinique

Comme la sensibilité et la fidélité, notions abordées dans les newsletters précédentes, la validité est une propriété générale de tout instrument de mesure. La validité d'un test est sa qualité à mesurer effectivement ce qu'il est censé mesurer. L’utilisation d’un test qui fait preuve d’une bonne validité, assure au clinicien qu’il évalue bien ce qu’il souhaite mesurer.

La validité d’un test est toujours établie en rapport à des objectifs, à des populations cibles, ainsi qu’à des contextes d’application spécifiques. On parle donc de degré de validité donné pour un objectif précis (par exemple : mesurer l’intelligence), pour une population cible précise (par exemple : les enfants de l’école élémentaire), et pour un contexte d’application spécifique (par exemple : prédire la performance scolaire).
De plus, le degré de validité d’un instrument psychométrique demeure relatif au lieu et au temps où il a été établi : il doit donc être réévalué périodiquement. Par exemple, un test peut n’être valide que dans la culture dans laquelle il a été développé ou contenir des items devenus obsolètes avec l’effet du temps.

Les différentes catégories de preuves de la validité d’un test : exemple du WISC-V
(Echelle de Wechsler pour enfants et adolescents)

« Les conceptions contemporaines de la validité ne parlent plus de différents types de validité, mais plutôt de différentes catégories de preuves de la validité, toutes concourant à fournir des informations pertinentes pour l’interprétation spécifique des notes » 1

1- Les preuves basées sur le contenu du test

Pour être valide, un test doit avoir une solide assise théorique, et les tâches qui le composent doivent couvrir l'ensemble (ou au moins un échantillon représentatif) des aspects du concept à mesurer.
Le WISC-V étant fondé sur le modèle théorique de Cattell Horn Caroll (CHC), les psychologues du Service Recherche et Développement ont dû s’assurer que les subtests de cette batterie étaient représentatifs des facteurs décrits dans le modèle CHC.

Les indices du WISC-V sont construits à partir du modèle CHC.
Ainsi, par exemple, l’Indice de Compréhension Verbale (ICV) du WISC-V est représentatif du domaine Compréhension (Gc) du modèle CHC.
Cinq indices du WISC-V sont ainsi représentés afin d’apprécier l’efficience intellectuelle des enfants et des adolescents à partir de ce modèle.

2- Les preuves basées sur la structure interne

L’examen de la structure interne d’une batterie « nous indique dans quelle mesure les relations entre les items/tâches et les composantes de ce test sont conformes au concept sur lequel l’interprétation des notes au test est basée » 2 .
Pour cela, on analyse les coefficients de corrélation entre les items et les tâches demandées.

« La corrélation entre deux données numériques correspond à l’intensité de la liaison entre ces deux variables. Le coefficient de corrélation est compris entre –1 et +1. Plus le coefficient est prochedes valeurs extrêmes –1 et 1, plus la corrélation entre les variables est forte ». 3

- Les subtests « Similitudes » (SIM) et « Vocabulaire » (VOC) du WISC-V (tableau ci-dessus) présentent une bonne corrélation (.63) : on peut donc postuler qu’il existe un facteur commun justifiant leur appartenance à un même indice : l’Indice de Compréhension Verbale (ICV).

- Les subtests « Cubes » (CUB) et « Compréhension » (COM) présentent une corrélation modérée (.30) : cela montre que même si ces deux épreuves appartiennent à des domaines différents, un facteur commun semble toutefois se dégager. En effet, les épreuves du WISC-V visent toutes à apporter des éléments sur le niveau d’intelligence de l’enfant ou de l’adolescent.

Lors de notre prochaine newsletter, nous étudierons les preuves basées sur la structure externe d’un test.

1 AERA, APA, NCME. (1999).
2 AERA, APA, NCME. (1999).
3 Cognet, G., Bachelier, D. (2017). Clinique de l’examen psychologique de l’enfant et de l’adolescent. Paris : Dunod.

La newsletter de la psychométrie #15

PEARSON - TRAITS D'UNION

TRAITS D'UNION
LA COMMUNAUTÉ DE LA PSYCHOMÉTRIE
Newsletter - Juillet 2019 #15
ECPA par Pearson www.pearsonclinical.fr

Au sommaire


Le « burn-out » et la dépendance au jeu vidéo
intégrés dans la nouvelle classification de l’OMS

burn out

Si l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considère que le « burn-out » est un « phénomène lié au travail » et non pas une maladie, « l’épuisement professionnel » fait bien son entrée dans la nouvelle Classification Internationale des Maladies (CIM-11). Tout comme la dépendance au jeu vidéo. Autre modification : le transsexualisme quitte la liste des « troubles mentaux ».

Si la nouvelle nomenclature (CIM-11) 1 de l’OMS, rendue publique à l’occasion de la 72 ème Assemblée générale de l’organisation, n’entrera en vigueur qu’en 2022, c’est une avancée notable pour tous ceux qui plaident depuis des années pour la reconnaissance de ce mal souvent profond qu’est le «  burn-out ». Le premier communiqué de l’agence annonçait que le « burn-out » faisait son entrée dans la classification des maladies, dans la section consacrée aux « problèmes associés » à l'emploi ou au chômage, avec pour nom de code « QD85 ». Mais dès le lendemain, un porte-parole apportait une précision : déjà présent précédemment dans le chapitre « Facteurs influençant l'état de santé », il ne s’agit pas d’une « condition médicale » (maladie) mais d’un « phénomène lié au travail », « résultant d'un stress chronique (…) qui n'a pas été géré avec succès ». Selon l’OMS, pour parler de « burn-out », il faut que trois éléments soient réunis : « un sentiment d'épuisement », « du cynisme ou des sentiments négativistes liés à son travail » et « une efficacité professionnelle réduite ». Il a également été précisé que ce syndrome faisait « spécifiquement référence à des phénomènes relatifs au contexte professionnel et ne doit pas être utilisé pour décrire des expériences dans d’autres domaines de la vie ».
Une position – mesurée - qui est tout de même venue relancer le débat au moment
même où se déroulait à Paris le procès des anciens dirigeants de France Telecom, suite aux suicides et dépressions de 39 collaborateurs de l’entreprise recensés par la justice pendant la période de 2006 à 2009. Le 7 mai dernier, la ministre du Travail Muriel Pénicaud avait en effet affirmé que le « burn-out » n’était pas une « maladie professionnelle ». Et en février 2018, il y a un peu plus d’un an, c’était l’Assemblée Nationale qui rejetait une proposition de loi visant à reconnaître ce syndrome. La nouvelle liste de l’OMS apporte donc une nouvelle pièce au dossier. Reposant sur les conclusions d’experts dans le monde entier, elle est sensée fournir un langage commun aux professionnels de santé.

Le jeu vidéo ajouté à la section sur les « troubles de la dépendance »

Mais le « burn-out » n’est pas le seul nouvel entrant dans la classification de l’OMS. L’addiction au jeu vidéo a été ajoutée à la section sur les « troubles de la dépendance ». Une personne définie comme dépendante au jeu vidéo « joue tellement que d'autres centres d'intérêt et activités sont délaissées, y compris le sommeil et les repas », explique Shekhar Saxena, Directeur du département de la Santé mentale et des toxicomanies de l'OMS. Tout en reconnaissant que ce trouble ne touche qu'une « petite minorité » et qu’il n’était pas question d’affirmer que « toute habitude de jouer aux jeux vidéo est pathologique ».
En janvier 2018 déjà, l’OMS abordait la question de l’addiction au jeu vidéo dans son projet de révision de classification2 , en la définissant comme « un comportement (…) qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables ». Soit une « une altération non négligeable des activités personnelles, familiales, sociales, éducatives, professionnelles ou d’autres domaines importants du fonctionnement, et en principe, se manifester clairement sur une période d’au moins 12 mois ».
La décision de l’OMS d’intégrer l’addiction au jeu vidéo à la nouvelle classification a provoqué une vive réaction des professionnels du secteur, notamment de la part du SELL (Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs) : « L'ensemble des acteurs de l'industrie du jeu vidéo regrette que les États membres de l'Assemblée Mondiale de la Santé (…) aient choisi d'implémenter le très discuté « Trouble du jeu vidéo » dans la 11e édition de la Classification Internationale des Maladies (CIM-11) », affirme le syndicat professionnel sur son site internet3 .

Le transsexualisme n’est plus un « trouble mental »

Neuf ans après la France, qui en 2010 avait été le premier pays au monde à ne plus considérer le transsexualisme comme une affection psychiatrique, l’OMS a décidé de sortir « l'incongruence de genre » de la liste des troubles mentaux. L’organisation suit notamment les conclusions d’une étude du psychiatre et psychothérapeute Erik Schneider, qui expliquait dès 2013 que les enfants transgenres représenteraient un enfant sur 500, tout en reconnaissant que cette statistique était très certainement sous- estimée. « Lier (le transexualisme) aux maladies mentales est stigmatisant », a expliqué de son côté Lale Say, Responsable du département Santé reproductive et recherche à l'OMS, espérant que la nouvelle classification « réduise la stigmatisation, ce qui pourrait contribuer à une meilleure acceptation de ces personnes par la société (...) et même augmenter leur accès aux soins de santé ».

1 La Classification internationale des maladies (CIM) contient environ 55 000 codes pour les traumatismes, les maladies et les causes de décès. Sa 11 ème édition a demandé plus de 10 ans de travail en collaboration avec des professionnels de santé ayant soumis plus de 10 000 propositions de révision.
2 https://www.who.int/features/qa/gaming-disorder/fr/
3 https://www.sell.fr/news/la-classification-du-trouble-du-jeu-video-est-injustifiee

Troubles de l’autisme et du neuro-développement :
une avancée significative pour les psychologues de l’enfance
autisme
Robert Voyazopoulos Par Robert Voyazopoulos                              
Directeur de l'APPEA - Association francophone de Psychologie et Psychopathologie de l'Enfant & l'Adolescent - Paris
Psychologue et enseignant à l'INSHEA - Institut national supérieur de formation et de recherche sur le handicap et la scolarisation - Suresnes

Dans le cadre du 4 ème plan autisme, élargi aux Troubles du Neuro-Développement, des mesures concrètes viennent accompagner la reconnaissance de l’évaluation psychologique des troubles pour les enfants de 0 à 6 ans révolus. Avec notamment un forfait de 120 ou de 300 € directement versé aux familles par les plateformes d’intervention précoce.

Favoriser le repérage précoce des troubles du neuro-développement (TND)

L’objectif de ce forfait précoce est d’identifier le plus tôt possible les troubles du neuro-développement pour les enfants de 0 à 6 ans révolus. Ceci afin de proposer une intervention adaptée pour favoriser leur développement et limiter les sur-handicaps. Les actes des professionnels libéraux (psychologues) nécessaires pour les bilans et interventions précoces sont donc désormais pris en charge pour la première année d’intervention, avant toute démarche MDPH (Maisons Départementales des Personnes Handicapées).
Le Conseil national des troubles du spectre de l’autisme (TSA) et des troubles du neuro-développement (TND) a déployé la Stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement 2018 – 2022. Un point d’étape annonçait le 3 avril dernier1 les 5 engagements pris et mis en œuvre progressivement :

• Remettre la science au cœur de la politique publique de l’autisme en dotant la France d’une recherche d’excellence avec :

- La mise en réseau des grandes équipes de recherche labellisées (INSERM, CEA, INRA, CNRS…) et la désignation de centres d’excellence nationaux sur l’autisme et les troubles du neurodéveloppement
- La création d’une base de données multidimensionnelle pour la recherche TSA-TND
- Des travaux destinés à accélérer la diffusion des connaissances

On y perçoit en filigrane la volonté de faire évoluer les accueils et prises en charge dans les consultations médico-psychologiques et d’ouvrir les équipes de soins, trop centrées sur les références psychopathologiques et psychanalytiques, à des approches intégratives et associant les modèles neuroscientifiques.

• Rattraper le retard en matière de scolarisation

- La scolarisation en maternelle avec l’intervention en classe des équipes médico-sociales ou libérales, en soutien aux équipes pédagogiques et le triplement du nombre d’unités d’enseignement maternel autisme
- Un parcours scolaire fluide et adapté aux besoins de chaque enfant, de l’école élémentaire au lycée
- L’information, la sensibilisation et la formation des enseignants accueillant des élèves autistes.

C’est l’aboutissement d’une coopération étroite menée depuis 2 ans entre les différents ministères concernés (Éducation nationale et Jeunesse, Santé, Secrétariat d’État Personnes handicapées …), les organismes publics comme la HAS, la CNSA, les fédérations professionnelles et d’usagers, les grandes associations gestionnaires d’ESMS … etc.

• Intervenir précocement auprès des enfants présentant des différences de
développement, afin de limiter le surhandicap avec :

- Le repérage des écarts au développement des très jeunes enfants
- L’organisation des plateformes d’intervention et la coordination des professionnels libéraux
- Un reste à charge réduit pour les familles (enfants de 0 à 6 ans révolus) dès cette année

Les modalités de conventionnement qui viennent d’être publiées précisent les types d’intervention prises en charge dans le cadre du forfait précoce et leurs rémunérations pour les ergothérapeutes, les psychomotriciens et les psychologues.

• Soutenir la pleine citoyenneté des adultes

• Soutenir les familles et reconnaître leur expertise


Contribuer à la rédaction des Recommandations de Bonnes Pratiques (RBP) dans l’évaluation psychologique

Pour les psychologues est demandée une évaluation qualitative et quantitative des compétences développementales de l’enfant et, si nécessaire, des tests neuropsychologiques complémentaires ciblant des secteurs spécifiques du développement cognitif et socio-communicationnel.
Le forfait a été fixé à 120 € pour une évaluation psychologique simple et à 300 € pour une évaluation incluant des tests neuropsychologiques complémentaires. La qualité d’intervention (dans les structures publiques ou en cabinet libéral) sera garantie par un respect des RBP - Recommandations des Bonnes Pratiques, établies par la HAS. On connaissait le texte des recommandations pour le Trouble du spectre de l’autisme (février 2018)2 . Une liste d’outils et de recommandations pour l’ensemble des TND est donc attendue, qui sera réactualisée périodiquement en fonction de l’évolution des connaissances scientifiques.
Il reste à souhaiter que les organisations, fédérations et associations professionnelles de psychologues, parlent prochainement et rapidement d’une même voix pour contribuer à la rédaction des Recommandations de Bonnes Pratiques dans l’évaluation psychologique. Et principalement celle des troubles du neuro-développement chez l’enfant. La période est propice à la construction de guidelines que la profession ne peut pas laisser aux seuls soins des autres responsables de la santé, de l’évaluation et du soin des personnes.
Cette évidence parviendra-t-elle à s’imposer et à susciter des travaux conjoints dans la communauté professionnelle et universitaire des psychologues ? Par ailleurs, de nombreuses questions restent en suspens, comme par exemple la forme que devra prendre le compte rendu d’évaluation psychologique, les conditions méthodologiques et cliniques de la passation, ou
encore la définition d’un test neuropsychologique …

1 https://handicap.gouv.fr/presse/dossiers-de-presse/article/strategie-autisme-et-neuro-developpement
2https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2018-02/trouble_du_spectre_de_lautisme_de_lenfant_et_ladolescent__recommandations.pdf

"La Fabrique des tests"
La validité dans les tests : de quoi parle-t-on ?
Partie 2
Par Charlène Nassif                             
Psychologue, Conseil Clinique

Dans cette seconde newsletter consacrée à la validité, nous allons aborder les preuves basées sur la structure externe d’un test (c’est-à-dire basées sur les relations avec d’autres variables). Nous vous présenterons l’intérêt de leur utilisation dans votre pratique clinique.

Nous illustrerons cela avec la cinquième édition de l’échelle d’évaluation du fonctionnement intellectuel pour enfants et adolescents de Wechsler : le WISC-V

1- Corrélations entre le WISC V et d’autres tests

Lors du recueil d’étalonnage du WISC-V, le WISC-IV, la WPPSI-IV, la WAIS-IV et le KABC-II ont été également administrés à certains sujets de l’étalonnage. En effet, ces outils mesurant eux-aussi les fonctions cognitives, on s’attend à ce que les sujets y obtiennent des scores similaires.

Exemple avec le KABC-II: cette batterie a été administrée à 67 enfants âgés de 6 à 16 ans en parallèle du WISC-V.

 Corrélations entre indices

Extrait du tableau 5.8. Corrélations entre le QIT du WISC-V et les indices composites du KABC-II, Manuel d’interprétation du WISC-V

Nous observons une corrélation élevée (.86) entre le QIT (Quotient Intellectuel Total) du WISC-V et l’IFC (Intelligence Fluide/Cristallisée) du KABC-II.

Cette valeur peut être interprétée comme une preuve de la validité du WISC-V : ces deux batteries évaluent en effet à priori les mêmes construits.

 Corrélations entre subtests

Extrait du tableau 5.8. Corrélations entre le subtest INF du WISC-V et les subtests du KABC-II, Manuel d’interprétation du WISC-V

Bonne corrélation : .71 entre Information (WISC-V) et Connaissances culturelles (KABC-II). On note que les enfants et adolescents ont tendance à obtenir des résultats similaires à l’un ou l’autre subtest. En effet, ces deux subtests, dont les items ont été construits d’après les programmes scolaires, évaluent les connaissances générales.

Corrélation faible : .24 entre Information (WISC-V) et Mouvements de main (KABC-II). Ces deux épreuves présentent une corrélation faible. En effet, Mouvements de main évalue l’attention la mémoire à court terme visuo-motrice et non les connaissances générales.

Intérêt clinique : dans le cas où une première évaluation a été proposée avec le KABC-II et qu’une nouvelle évaluation cognitive est nécessaire à court terme, un re-test avec le KABC-II n’est pas envisageable (effet d’apprentissage). Le clinicien peut alors proposer un WISC-V et consulter le tableau 5.8 du Manuel d’interprétation pour identifier les épreuves du WISC-V et de KABC-II pour lesquelles les notes devraient être situées dans la même zone de performance (par exemple Information et Connaissances culturelles).

2- Études de groupes cliniques spécifiques

Plusieurs études de groupes cliniques ont été réalisées en parallèle à l’étalonnage du WISC-V. Ces études de validité visent à vérifier qu’il y a une adéquation entre les résultats aux subtests / indices du WISC-V et les difficultés ou ressources fréquentes de certains tableaux cliniques connus.

A titre d’exemple, si les effets à long terme des traumatismes cérébraux peuvent être très variables, une altération de la mémoire de travail est un symptôme fréquent dans ces populations cliniques.
Vingt enfants souffrant d’un Traumatisme cérébral ont été évalués avec le WISC-V, et leurs résultats ont été comparés avec ceux d’un Groupe contrôle (présentant des caractéristiques démographiques similaires). On s’attend à ce que le groupe clinique Traumatisme cérébral présente des différences significatives au sein de l’Indice de Mémoire de Travail (IMT) par rapport au groupe contrôle composé de sujets tout-venant.

Extrait du tableau 5.18. Comparaison des notes à l'IMT entre enfants ayant subi un Traumatisme Cérébral et enfants du groupe contrôle.

Ainsi, les résultats observés dans le tableau ci-dessus font apparaitre une différence moyenne significative de l’IMT entre le Groupe contrôle et le Groupe clinique au profit du Groupe contrôle, ce qui est cohérent avec les conclusions des recherches menées auprès des populations de patients souffrant de TC.

Intérêt clinique : grâce à ces données, le clinicien menant des évaluations cognitives avec le WISC-V auprès de populations pour lesquelles un groupe clinique correspondant a été inclus lors de la validation du test peut porter une attention particulière aux subtests et indices sur lesquels il existe des différences significatives (par exemple l’IMT pour les patients souffrant d’un traumatisme cérébral).

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